Rituel oblige pour un collège gouvernemental helvétique à la présidence tournante, le nouveau Conseil communal a diffusé sa photo officielle 2020-2021. Il ne sera que six mois en exercice et veut donner une image d’avenir à travers un choix assumé d’une certaine conception de la collégialité.
Des contraintes institutionnelles président, si l’on peut dire, à la conception d’une telle photographie : elle doit montrer les élus avec leur chancelier, dans l’ordre visuel protocolaire où ils siègent devant les parlements. C’est le président ou la présidente en exercice qui donnent la tonalité de l’image.
Ainsi, Simonetta Sommuaruga, une fine pianiste socialiste, a choisi les coulisses sombres d’une salle de concert pour montrer un collège des musiciens ayant à jouer la partition difficile de la crise du Covid. Le Conseil fédéral pratique l’exercice de la photo annuelle depuis longtemps.

En plien crise pandémique en mai 2020, le Conseil d’Etat neuchâtelois est plongé dans les couloirs de école de formation para-médicale à La Chaux-de-Fonds, l’École Pierre-Coullery, avec une médecin-cheffe, une infirmière-cheffe ou une enseignante et des instruments médicaux ou chirurgicaux.

Un risque important réside dans les effets de sens disphoriques (le contraire d’euphoriques) inattendus venant brouiller le message de départ de ce type d’image communicationnelle à haut potentiel connotatif. Ainsi, on peut se demander si Monika Maire-Hefti, avec sa rose rouge et son scalpel, ne va pas saigner à blanc ses concitoyen·ne·s…
Nos 5M n’ont pas eu le choix d’intégrer une femme comme depuis 1996 ! Par contre ils ont fait d’autres bons choix. Prendre la photo en plein air, un lumineux matin de novembre dans une belle rue piétonne récemment réaménagée : la rue de l’Avenir, qui va de l’École d’art au Pod. Elle abrite depuis deux semaines une sculpture réalisée par Camille Villetard et Matthieu Barbezat. La patte du chef de l’urbanisme Théo Huguenin-Élie est ainsi clairement compréhensible et pleinement justifiée.
« Ce duo d’artistes franco-suisse est lauréat du concours, lancé en 2019, pour conserver une trace durable du 10e anniversaire de l’inscription de la cité horlogère au patrimoine de l’Unesco. Ils se sont inspirés des proportions du Modulor de Le Corbusier. « L’idée était de lever cette structure carrée du damier et de la mettre à niveau par rapport à la pente de la rue, pour donner l’impression d’un tapis volant», détaille Camille Villetard. «L’objectif est de la faire vivre», précise Matthieu Barbezat. «L’espace public appartient à tout le monde. Nous avons imaginé une sculpture à apprivoiser et à réinventer à sa guise, et sur laquelle les gens peuvent s’installer», renchérit-elle. » (ArcInfo, 13 novembre 2020).
Le Conseil communal, par ses positions, postures, regards et vêtements, s’est donc installé, dans le respect de la distance sociale, autour de cette nouvelle oeuvre d’art urbaine.

L’image, prise par Aline Henchoz, la magnifique photographe du service de la communication, est lumineuse. Trois hommes en bleu, cravatés (à noter la différence du nouage, strict chez l’UDC Thierry Brechbühler, moins formel chez le président socialiste Théo Huguenin-Élie), trois autre majoritairement en noir. Porteraient-ils le deuil de quelque chose ou de quelqu’un (le deuil des morts du Covid, le deuil de la retraite, le deuil de l’écharpe blanche) ?
Le chancelier, Daniel Schwaar, d’habitude mis à gauche ou en arrière, est ici au centre, avec une importance peut-être trop grande (?).
Thierry Brechbühler, tout à gauche (ce n’est pas exactement sa place lors des séances du Conseil général), pose un pied sur le banc : décontraction du nouveau papa, chef en pleine forme de la jeunesse, des sports et de la santé ?

Théo Bregnard, le popiste (qui sait s’il songe à l’image dont il avait la charge l’an passé au Musée des beaux-arts?) et Patrick Herrmann ont choisi (vraiment ?) d’être assis, manifestement plus petits sur l’image : c’est le premier effet de sens d’une collégialité d’un nouveau genre ! D’ailleurs, dans son coin, Patrick Herrmann (le Vert en noir), le seul que les cinq autres ne voient pas, semble rire de l’incongruité avec sa distance amusée qui est son label !
Les deux élus les plus en avant sont ceux dont on pourrait penser qu’ils seraient l’axe fort du nouveau Conseil commual. À droite, le PLR Jean-Daniel Jeanneret, la main sur la poitrine, d’habitude entourée de sa légendaire écharpe blanche : lui manquerait-elle ou Sa Suffisance napoléonienne aurait-elle un peu froid dans cette matinée frisquette de novembre ?

Au centre, dans une pose de trois quarts, rappelant les portraits en pied des peintres du Grand Siècle, Théo Huguenin-Élie, le président socialiste d’une ville qui ne l’est plus. L’image accentue sa position un peu isolée par rapport à ses collègues, produisant l’effet d’une collégialité moins équilibrée que celle visible sur la photo 2019-2020. Dans ce sens l’autre élu portant le prénom divin avait donné à sa présidence une tonalité différente, en tous cas plus souriante…

Bonne chance, bon courage et bon travail à ces cinq élus dont les défis à relever sont de taille !
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